RÉPONSES AUX QUESTIONS DE CHAU SÂN VI
Cher Chau Sân,
NATION
ET FORMATION
D'UN ETAT NATIONAL
AU CAMBODGE
La prise de conscience nationale est le prélude à la recherche des possibilités de trouver des compromis et de s'organiser pour défendre ensemble les intérêts légitimes minimaux de toutes les catégories et couches sociales d'un peuple contre les empiètements venus de l'extérieur. C'est, en d'autres termes, les aptitudes d'une communauté pour s'opposer à l'ennemi à trouver des compromis indispensables et acceptables pour tous et à se faire des concessions réciproques, qui font qu'une Nation peut se former. Ce n'est que lorsqu'une partie ou faction ou une formation clonale constate par expérience qu'elle ne peut vaincre l'ennemi seul qu'elle est contrainte à des concessions pour faire taire les divergences majeures au profit des aspirations communes. La nation française ne s'est elle pas formée que grâce à des compromis constants internes pour s'opposer à l'Angleterre et aussi à l'Espagne et à l'Autriche ? Ainsi en 1560 débutait en France les Guerres de Religions entre catholiques et protestants. Elles devaient tragiquement la déchirer pendant 35 ans. En 1589 mourait Henri III sans descendant. Les Habsbourgs, catholiques, régnaient sur l'Autriche et l'Espagne. Elles soutenaient un prétendant français catholique, pour étendre leur domination sur la France. Devant ce danger, les Henri de Navarre, protestant converti au catholicisme pour sauver les apparences, sous le nom de règne de Henri IV. Celui-ci signa l'Edit de Nantes en 1598, mettant fin à la guerre fratricide et unifiant le peuple français contre l'ennemi. Cet acte constituait une étape importante vers la formation de la Nation française.
Nous avons préféré une définition de la nation et de son Etat national dans le processus historique de leur formation. Elle correspond concrètement à la situation de notre pays. Il y a bien d'autres définitions, elles nous apparaissent trop abstraites, trop théoriques et ne conduisent nos compatriotes à une prise de conscience de leur appartenance à une même entité nationale avec ses contradictions internes normales pour une société en évolution. Toute approche théorique, même scientifique, est toujours sujette à révision, alors que les faits restent les faits. Dans les problèmes vitaux que la survie de notre nation, il importe de nous situer en considérant ces faits historiques. Le pragmatisme souvent décrié est aujourd'hui de règle, tous les dirigeants de ce monde, maintenant y reviennent.
A cet égard, on parle beaucoup de marxisme, de léninisme, de maoïsme etc. Personne ne s'avise de les définir avec un maximum de précision et on se jette l'anathème avec des vocables tels que "révisionnisme" ou "opportunisme" etc. Il y a bien eu Marx, Lénine, Mao comme il y eu Washington, Mutsuhito plus connu sous le nom posthume de Meiji-Tennô et tant d'autres. Marx ayant étudié la société de l'Europe occidentale de son époque, au milieu du XIXème siècle, a élaboré une vision socio-économique de l'évolution des nations. Il a été marqué par la Révolution Française de 1789, les bouleversements de l'époque napoléonienne et l'avènement de la grande industrie. Il a extrapolé trop hâtivement cette vision aussi bien pour le passé lointain que pour l'avenir de l'humanité. Maintenant toutes ces extrapolations ne correspondent pas à la réalité. Un autre exemple, témoin de la formation improvisée de l'administration de l'état de la communauté révolutionnaire de la Commune de Paris (18 mars-27 mai 1871), il a préconisé que les futurs Etats prolétaires devraient prendre cette forme. De nos jours, il n'existe aucun Etat du monde de ce type. Celui de l'URSS après plus de 70 ans d'existence n'est pas encore en passe d'évoluer dans ce sens. Mieux, on ne parle même plus de la Commune de Paris. D'autre part, la dialectique des opposées antagonistes irréductibles hégéliennes utilisée par Marx correspond-elle à la réalité en dehors de la guerre? La dialectique des opposés complémentaires asiatiques représentée par le ying et le yang avec son interprétation géométrique si évocative, n'en rend-elle pas mieux compte quand il est question de la formation des nations ou de la gestion des entreprises? N'explique-t-elle pas en partie la réussite de certains pays comme le Japon?
Lénine a le mérite d'organiser un parti qui lui a permis de prendre le pouvoir en Russie. Il a su habilement profiter des contradictions internes et externes, des circonstances historiques et aussi du sentiment national russe et l'immensité de son empire pour résister contre les interventions étrangères et pour asseoir solidement le pouvoir de son parti. Il a su également utiliser intelligemment au seul profit de l'URSS le fameux "internationalisme prolétarien".
Mao, tenant compte des spécificités de l'histoire et de la situation de la Chine après la Première Guerre Mondiale, ainsi que la conjoncture créée par l'agression japonaise, a su combiner la force de la paysannerie, révélée par la révolte des Taï-Ping et celle patriotique de la petite bourgeoisie et même de la grande bourgeoisie des villes pour prendre le pouvoir. Après une période ultra idéologique, la Chine revient à une conception plus pragmatique et plus réaliste pour le développement de son économie et de sa société, en se basant fondamentalement sur les critères nationaux.
L'étude des messages laissés par ces trois hommes n'est pas dénuée d'intérêt pour nous, cambodgien. Mais il importe de ne jamais perdre de vue que, pour nous, le problème fondamental qui prime tout est le problème national. Il nous invite à faire preuve de pragmatique, à l'aborder en dehors de toute préoccupation idéologique ou théorique, en nous basant principalement sur nos expériences propres et sur notre héritage historique. "L'internationalisme prolétarien" ou le "devoir internationaliste prolétarien" ne sont que des slogans utilisés pour défendre les intérêts de l'URSS et de ses proxys et pour cacher leur impérialisme. Pourquoi ne pas nous intéresser aussi aux messages de Washington, de de Gaulle, de Senghor, de Juan Carlos et de tant d'autres?
Dans le même esprit, certains de nos compatriotes et non des moindres, nous proposent de prendre pour modèle certains pays selon les circonstances et leurs convictions idéologiques, Suisse, Hongrie, Chine, France, USA, Singapour etc. La liste n'est pas exhaustive ni close. Il est permis de rêver quand on n'a aucune responsabilité. Mais quand on détient le pouvoir à quel titre qu'il soit, il est impérieux d'avoir les pieds sur terre et d'avoir toujours à l'esprit que la nation cambodgienne ne se construira que dans sa diversité enrichissante et selon son histoire et sa culture. Il n'y a pas de modèle tout fait ni dans la conquête du pouvoir, ni dans la manière de le conserver, ni dans son organisation, ni dans celle de la société qui la sous-tend. On ne peut copier sur personne en la matière. Chaque peuple se choisit une structure d'organisation de l'Etat qui le gouverne en fonction de son histoire et de la réalité sociale dans laquelle il vit. Méconnaître cette vérité c'est se condamner à être battu par l'ennemi.
Les sociétés égalitaires et communautaires aux quelles certains aspirent sont de dangereuses utopies. Les sociétés dites primitives, telles celles des minorités montagnardes du nord-est de notre pays, connues sous l'appellation de Khmers-leu sont de type tribal. Elles produisent juste ce qu'il faut pour subsister et de ce fait n'ont ni propriété privé ni monnaie. Certains les identifient au "communisme primitif". Elles se sont constituées de par la nature même des choses dans l'évolution de l'humanité. Une diversification accrue des tâches concomitante au développement technique, permet une production plus importante et excédentaire. La répartition de cet excédent devient rapidement le problème fondamental et source de conflits. depuis toutes les sociétés humaines tant soit peu évoluées sont inégalitaires et toutes les tentatives pour les rendre égalitaire sont échoué à cause de la contradiction insoluble et inhérente même à l'entreprise. En effet, pour obliger une société inégalitaire à devenir égalitaire, il faudrait une contrainte organisée qui privilègeriait arbitrairement les détenteurs du pouvoir au détriment des autres membres de la communauté. De ce fait, la société resterait donc inégalitaire avec des abus pires que ceux de la précédente. Les expériences dans le monde et celle douloureuse que nous venons de vivre sont là pour en témoigner.
En résumé, au Cambodge, la prise de conscience nationale a commencé à se concrétiser au moment de la formation du Parti Démocrate en 1946. Depuis l'indépendance, trois régimes se sont succédés et aucun n'a pu tenir durablement. La raison de ces échecs réside dans le fait qu'aucun d'eux n'avait préparé et pensé à organiser la communauté nationale pour affronter les visées expansionnistes à caractère stratégique de la RSV et de l'URSS sur notre pays. Aujourd'hui, après plus de 9 ans de combats, le peuple cambodgien avec l'aide et le soutien de la Thaïlande, de la Chine, et des USA, accule la RSV dans une situation de plus en plus difficile sur les plans militaire, économique, politique et diplomatique. De notre côté une évidence s'impose : aucune partie, aucun groupe d'intérêts, aucun clan, ne peut seul libérer la patrie. Saurions-nous trouver un compromis acceptable pour tous, valable et viable pour que la quasi totalité du peuple se sente motivée pour participer activement à la lutte, chacun selon ses possibilités et ses moyens? Les événements et les intérêts fondamentaux du peuple nous y obligent. Il n'y a pas d'autres issues possibles.
Cher Chau Sân,
NATION
ET FORMATION
D'UN ETAT NATIONAL
AU CAMBODGE
La prise de conscience nationale est le prélude à la recherche des possibilités de trouver des compromis et de s'organiser pour défendre ensemble les intérêts légitimes minimaux de toutes les catégories et couches sociales d'un peuple contre les empiètements venus de l'extérieur. C'est, en d'autres termes, les aptitudes d'une communauté pour s'opposer à l'ennemi à trouver des compromis indispensables et acceptables pour tous et à se faire des concessions réciproques, qui font qu'une Nation peut se former. Ce n'est que lorsqu'une partie ou faction ou une formation clonale constate par expérience qu'elle ne peut vaincre l'ennemi seul qu'elle est contrainte à des concessions pour faire taire les divergences majeures au profit des aspirations communes. La nation française ne s'est elle pas formée que grâce à des compromis constants internes pour s'opposer à l'Angleterre et aussi à l'Espagne et à l'Autriche ? Ainsi en 1560 débutait en France les Guerres de Religions entre catholiques et protestants. Elles devaient tragiquement la déchirer pendant 35 ans. En 1589 mourait Henri III sans descendant. Les Habsbourgs, catholiques, régnaient sur l'Autriche et l'Espagne. Elles soutenaient un prétendant français catholique, pour étendre leur domination sur la France. Devant ce danger, les Henri de Navarre, protestant converti au catholicisme pour sauver les apparences, sous le nom de règne de Henri IV. Celui-ci signa l'Edit de Nantes en 1598, mettant fin à la guerre fratricide et unifiant le peuple français contre l'ennemi. Cet acte constituait une étape importante vers la formation de la Nation française.
Nous avons préféré une définition de la nation et de son Etat national dans le processus historique de leur formation. Elle correspond concrètement à la situation de notre pays. Il y a bien d'autres définitions, elles nous apparaissent trop abstraites, trop théoriques et ne conduisent nos compatriotes à une prise de conscience de leur appartenance à une même entité nationale avec ses contradictions internes normales pour une société en évolution. Toute approche théorique, même scientifique, est toujours sujette à révision, alors que les faits restent les faits. Dans les problèmes vitaux que la survie de notre nation, il importe de nous situer en considérant ces faits historiques. Le pragmatisme souvent décrié est aujourd'hui de règle, tous les dirigeants de ce monde, maintenant y reviennent.
A cet égard, on parle beaucoup de marxisme, de léninisme, de maoïsme etc. Personne ne s'avise de les définir avec un maximum de précision et on se jette l'anathème avec des vocables tels que "révisionnisme" ou "opportunisme" etc. Il y a bien eu Marx, Lénine, Mao comme il y eu Washington, Mutsuhito plus connu sous le nom posthume de Meiji-Tennô et tant d'autres. Marx ayant étudié la société de l'Europe occidentale de son époque, au milieu du XIXème siècle, a élaboré une vision socio-économique de l'évolution des nations. Il a été marqué par la Révolution Française de 1789, les bouleversements de l'époque napoléonienne et l'avènement de la grande industrie. Il a extrapolé trop hâtivement cette vision aussi bien pour le passé lointain que pour l'avenir de l'humanité. Maintenant toutes ces extrapolations ne correspondent pas à la réalité. Un autre exemple, témoin de la formation improvisée de l'administration de l'état de la communauté révolutionnaire de la Commune de Paris (18 mars-27 mai 1871), il a préconisé que les futurs Etats prolétaires devraient prendre cette forme. De nos jours, il n'existe aucun Etat du monde de ce type. Celui de l'URSS après plus de 70 ans d'existence n'est pas encore en passe d'évoluer dans ce sens. Mieux, on ne parle même plus de la Commune de Paris. D'autre part, la dialectique des opposées antagonistes irréductibles hégéliennes utilisée par Marx correspond-elle à la réalité en dehors de la guerre? La dialectique des opposés complémentaires asiatiques représentée par le ying et le yang avec son interprétation géométrique si évocative, n'en rend-elle pas mieux compte quand il est question de la formation des nations ou de la gestion des entreprises? N'explique-t-elle pas en partie la réussite de certains pays comme le Japon?
Lénine a le mérite d'organiser un parti qui lui a permis de prendre le pouvoir en Russie. Il a su habilement profiter des contradictions internes et externes, des circonstances historiques et aussi du sentiment national russe et l'immensité de son empire pour résister contre les interventions étrangères et pour asseoir solidement le pouvoir de son parti. Il a su également utiliser intelligemment au seul profit de l'URSS le fameux "internationalisme prolétarien".
Mao, tenant compte des spécificités de l'histoire et de la situation de la Chine après la Première Guerre Mondiale, ainsi que la conjoncture créée par l'agression japonaise, a su combiner la force de la paysannerie, révélée par la révolte des Taï-Ping et celle patriotique de la petite bourgeoisie et même de la grande bourgeoisie des villes pour prendre le pouvoir. Après une période ultra idéologique, la Chine revient à une conception plus pragmatique et plus réaliste pour le développement de son économie et de sa société, en se basant fondamentalement sur les critères nationaux.
L'étude des messages laissés par ces trois hommes n'est pas dénuée d'intérêt pour nous, cambodgien. Mais il importe de ne jamais perdre de vue que, pour nous, le problème fondamental qui prime tout est le problème national. Il nous invite à faire preuve de pragmatique, à l'aborder en dehors de toute préoccupation idéologique ou théorique, en nous basant principalement sur nos expériences propres et sur notre héritage historique. "L'internationalisme prolétarien" ou le "devoir internationaliste prolétarien" ne sont que des slogans utilisés pour défendre les intérêts de l'URSS et de ses proxys et pour cacher leur impérialisme. Pourquoi ne pas nous intéresser aussi aux messages de Washington, de de Gaulle, de Senghor, de Juan Carlos et de tant d'autres?
Dans le même esprit, certains de nos compatriotes et non des moindres, nous proposent de prendre pour modèle certains pays selon les circonstances et leurs convictions idéologiques, Suisse, Hongrie, Chine, France, USA, Singapour etc. La liste n'est pas exhaustive ni close. Il est permis de rêver quand on n'a aucune responsabilité. Mais quand on détient le pouvoir à quel titre qu'il soit, il est impérieux d'avoir les pieds sur terre et d'avoir toujours à l'esprit que la nation cambodgienne ne se construira que dans sa diversité enrichissante et selon son histoire et sa culture. Il n'y a pas de modèle tout fait ni dans la conquête du pouvoir, ni dans la manière de le conserver, ni dans son organisation, ni dans celle de la société qui la sous-tend. On ne peut copier sur personne en la matière. Chaque peuple se choisit une structure d'organisation de l'Etat qui le gouverne en fonction de son histoire et de la réalité sociale dans laquelle il vit. Méconnaître cette vérité c'est se condamner à être battu par l'ennemi.
Les sociétés égalitaires et communautaires aux quelles certains aspirent sont de dangereuses utopies. Les sociétés dites primitives, telles celles des minorités montagnardes du nord-est de notre pays, connues sous l'appellation de Khmers-leu sont de type tribal. Elles produisent juste ce qu'il faut pour subsister et de ce fait n'ont ni propriété privé ni monnaie. Certains les identifient au "communisme primitif". Elles se sont constituées de par la nature même des choses dans l'évolution de l'humanité. Une diversification accrue des tâches concomitante au développement technique, permet une production plus importante et excédentaire. La répartition de cet excédent devient rapidement le problème fondamental et source de conflits. depuis toutes les sociétés humaines tant soit peu évoluées sont inégalitaires et toutes les tentatives pour les rendre égalitaire sont échoué à cause de la contradiction insoluble et inhérente même à l'entreprise. En effet, pour obliger une société inégalitaire à devenir égalitaire, il faudrait une contrainte organisée qui privilègeriait arbitrairement les détenteurs du pouvoir au détriment des autres membres de la communauté. De ce fait, la société resterait donc inégalitaire avec des abus pires que ceux de la précédente. Les expériences dans le monde et celle douloureuse que nous venons de vivre sont là pour en témoigner.
En résumé, au Cambodge, la prise de conscience nationale a commencé à se concrétiser au moment de la formation du Parti Démocrate en 1946. Depuis l'indépendance, trois régimes se sont succédés et aucun n'a pu tenir durablement. La raison de ces échecs réside dans le fait qu'aucun d'eux n'avait préparé et pensé à organiser la communauté nationale pour affronter les visées expansionnistes à caractère stratégique de la RSV et de l'URSS sur notre pays. Aujourd'hui, après plus de 9 ans de combats, le peuple cambodgien avec l'aide et le soutien de la Thaïlande, de la Chine, et des USA, accule la RSV dans une situation de plus en plus difficile sur les plans militaire, économique, politique et diplomatique. De notre côté une évidence s'impose : aucune partie, aucun groupe d'intérêts, aucun clan, ne peut seul libérer la patrie. Saurions-nous trouver un compromis acceptable pour tous, valable et viable pour que la quasi totalité du peuple se sente motivée pour participer activement à la lutte, chacun selon ses possibilités et ses moyens? Les événements et les intérêts fondamentaux du peuple nous y obligent. Il n'y a pas d'autres issues possibles.
(À suivre...)
Novembre 1987
Novembre 1987
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