RÉPONSES AUX QUESTIONS DE CHAU SÂN VII
Cher Chau Sân,
Nous désirons placer nos réponses dans le cadre historique que nous venons de développer et en tenant compte des circonstances qui nous sont imposées. Nous sommes au milieu d'un champ de bataille, un des plus chauds du monde. L'ennemi nous attaque et nous agresse partout dans le monde, au Cambodge et ailleurs. La situation nous oblige à être extrêmement vigilant, à ne jamais baisser la garde et à avoir nos yeux, nos pensées, nos propos et nos armes dirigés, pointés, rivés sur le quartier général de l'ennemi: les dirigeants du PCV et de l'URSS avec leurs objectifs stratégiques et leurs feintes tactiques. Nous faisons tout notre possible pour dévoiler à temps les pièges qui nous tendent. Si par malheur, un de nos compatriotes s'y laissait prendre, notre conscience nationale nous obligerait à faire l'impossible pour l'aider à s'en sortir. Quand quelque chose nous divise, nous nous efforçons d'y remédier pour que l'ennemi ne puisse en tirer profit. "L'ennemi n'a que douceur sur les lèvres, mais dans son coeur il projette de te culbuter dans le fossé" (la Bible).
1/. Nous avons pris le parti de ne citer aucun nom dans le présent. Nous avons déjà .voqué ce problème plus haut. Nous allons aborder plus longuement.
Comme toi, nous estimons que le sort de notre nation ne dépend pas d'un miracle, ni d'un ou de plusieurs hommes providentiel. En rejetant les fautes passées ou présentes nommément et uniquement sur telle ou telle personnalité, ne serait-il pas une façon aussi de croire inconsciemment que notre sort et celui de la nation dépendraient encore uniquement d'elles? Si jusqu'à présent, comme tu le constates toi même, nos compatriotes au pouvoir se conduisent comme des Deva Raja de l'époque angkorienne révolue et que certains d'entre nous continuent à leur faire crédit, ne serait pas parce qu'au fond de nous mêmes, nous laissions encore se cacher ce mythe anachronique? Sans une prise de conscience individuelle, puis collective à l'échelle nationale, il serait à craindre que nous s’en serions jamais délivrés. C'est pour ces raisons que nous concentrons nos articles sur les idées, les pensées, les conceptions et non sur les individus, principe auquel nous nous attachons et que nous avons souligné dans l'éditorial de notre premier numéro.
L'homme juge, pense, raisonne, agit fondamentalement d'après ses subjectivités acquises au cours de sa vie et plus particulièrement dans son enfance. Cet héritage culturel et social acquis très tôt, reste solidement enraciné dans son inconscience qui régit ses subjectivités. Elles l'emprisonne et influencent ses jugements et son appréhension du monde extérieur. Il règle ses activités en fonction d'elles, et essaie de leur adapter la réalité des faits. C'est seulement quand il rencontre un obstacle ou qu'il entre en conflit avec quelque chose qu'il est obligé de réviser son attitude, souvent sans en comprendre le sens profond, mais parfois aussi en parvenant à en prendre conscience et à corriger en partie ses subjectivités et améliorer l'efficacité de ses activités futures. La prise de conscience procède donc d'un passage à un autre niveau dans la perception du monde extérieur. Les grands hommes d'Etat, les hommes qui agissent en responsable, sont ceux qui savent maîtriser leurs subjectivités, appréhender les contradictions du monde extérieur avec le maximum d'objectivité et les résoudre ou se préparer à les résoudre en temps voulu et dans le sens le plus proche possible des intérêts fondamentaux de la communauté nationale. L'homme au fond n'est que le jouet de ses pensées. C'est ce qui explique que nous donnons la priorité aux pensées.
D'un autre côté nous ne sommes pas, hélas! dans la position d'un médecin soignant un malade. Nous sommes nous-mêmes, chacun de nous à la fois le malade et son médecin. Le mal ne peut être guéri que si le malade en prend conscience par lui même et décide de se soigner et de guérir. Personne ne peut le faire à sa place. Il est encore moins de se fier à un médecin étranger qui ne peut forcément pas comprendre notre maladie.
Par exemple, certains débats nous divisent inutilement. Ainsi soulever maintenant la question de l'aspect formel du futur régime de notre pays serait-il de bonne opportunité? Républicain ou monarchique, une dictature ne pourrait-elle pas s'y cacher? Il y a des républiques qui sont des monarchies absolues, comme des monarchies qui sont démocratiques comme l'Angleterre, les pays nordiques et surtout l'Espagne où le roi Juan Carlos est devenu le garant incontesté de la structure démocratique de l'Etat et a su enterrer en douceur l'héritage franquiste. Ne serait-il pas plus important de nous organiser sérieusement d'abord pour lutter contre l'ennemi mortel venu de l'extérieur et puis engager entre combattants des discussions, avec la prudence qui s'impose, par exemple sur le problème des structures fonctionnelles de notre futur Etat national, Etat qui permet à chaque catégorie et couche sociale de sauvegarder ses intérêts fondamentaux légitimes? Ce faisant nous motiverons dans la lutte un nombre croissant de nos compatriotes où qu'ils se trouvent.
Nous avons écrit que nous avons comme point de mire fondamental le quartier général du PCV. Les marionnettes de Phnom Penh ne sont pas notre priorité. Car sans leurs montreurs, elles ne sont que les natures mortes. D'ailleurs ne voyons nous pas déjà disparaître un certain nombre d'entre-elles au gré de leurs maîtres? Comme Pen Sovan par exemple? Les marionnettes ne vivent que par les hommes qui les animent. Alors pourquoi tirer sur quelque chose qui ne vit pas par elle même? Pourquoi perdre son temps et s'abaisser à discuter avec elles? Quant aux soldats et fonctionnaires de l'administration fantoche à tous les niveaux, plus particulièrement les intellectuels, ils ne cherchent qu'à déserter pour rejoindre nos rangs ou à lutter contre l'ennemi en se servant de leur fonction même. L'ennemi le sait parfaitement mais de par sa nature il est impuissant à enrayer le mouvement. Faute de mieux, il est venu à éliminer physiquement déjà un certain nombre d'entre eux. Ces martyrs représentent l'autre aspect du combat de notre peuple. L'avenir de notre pays dépend fondamentalement de nous et surtout de la génération montante. En ne citant pas de noms de personnalités dans nos propos nous souhaitons responsabiliser chacun de nos compatriotes pour qu'il n'attend pas un miracle ni un homme providentiel pour sauver notre nation. C'est en nous habituant à penser par nous mêmes, en ne nous situant pas par rapport à ces personnalités mais par rapport à la conjoncture réelle de la lutte de notre peuple que nous pourrions y arriver.
2/ Problèmes posés par les erreurs criminels commises par les dirigeants du PCK (DPCK)) durant les années 1975-1978.
A leur égard nous n'utiliserons pas l'expression "Khmers rouges" à cause de son imprécision même. L'ennemi l'utilise pour désigner ceux qui se battent résolument contre lui. Nous préférons utiliser la terminologie PCK ou DPCK qui a le mérite de désigner exactement les vrais responsables du drame. Au sujet des aberrations du régime de 1975-1978, nous te demandons de te référer à notre article dans le n° 1 de Perspectives. Le régime criminel des DPCK fait maintenant partie d'une période tragique de notre histoire, rien ne peut l'effacer. Il restera gravé dans la mémoire de notre peuple au même titre que la Guerre des Religions, la Saint-Barthélemy, le massacre des Chouans chez les Français, de même la politique répressive du PCV, le drame des boat people chez les Vietnamiens. Il ne s'agit pas de l'oublier, mais de nous organiser pour nous battre d'abord contre l'ennemi pour libérer notre patrie. C'est en luttant fondamentalement contre l'occupant que nous pouvons devenir forts et alors faire respecter notre point de vue sur la forme de l'Etat national après la libération ou tout le moins former un contre pouvoir crédible et efficace pour empêcher un régime de type 1975-1978 ou tout autre régime autocratique ou dictatorial de prendre le pouvoir après la libération. Le problème des DPCK est un problème intérieur cambodgien qu'il convient de résoudre entre Cambodgiens.
Depuis l'indépendance, nos hommes au pouvoir se croyaient gouverner un pays situé sur une île perdue dans le Pacifique comme la Nouvelle-Zélande par exemple, prenant à la légère les contraintes imposées par le voisinage d'une puissante RSV. Ils se contentaient de régenter dans le présent sans se préoccuper avec le sérieux qui s'impose, de bâtir une stratégie cohérente et viable pour l'avenir de notre pays en se basant sur notre héritage historique et sur le rapport des forces régionales et planétaire. Maintenant la réalité des faits se charge de nous ouvrir les yeux et s'impose à nos compatriotes qui sont conscients de leur responsabilité. Pour notre pays, il existe déjà trois contre pouvoirs dont il faudra tenir compte:
· a/ L'ennemi la RSV, puissamment aidée par l'URSS, est coriace. Aucune des parties du GCKD, aucun groupe d'intérêt, ou aucun clan quelconque ne pourra prétendre le chasser seul et prendre le pouvoir. Ces forces trouvent dans l'obligation de coopérer et d'accepter de faire mutuellement des concessions pour parvenir à une entente plus réelle. La RSV ne retirera jamais d'elle-même ses troupes d'agression de notre sol. Une fois notre pays libéré, elle continuera à constituer une menace permanente à la quelle nous devrons faire face stratégiquement.
· b/ Le peuple cambodgien, lui-même, représente un deuxième contre pouvoir. Déterminé dans sa lutte, il n'en est pas moins, en effet, contre l'ambition de telle ou telle force d'accaparer seule le monopole du pouvoir d'Etat.
· c/ Les pays qui nous aident et nous soutiennent, plus particulièrement la Thaïlande, la Chine et les USA constituent le troisième contre pouvoir dont nous devons tenir compte. Ils n'accepteront pas un pouvoir exclusivement entre les mains d'une seule force.
· d/ Mais le contre pouvoir le plus sûr et le plus efficace demeure dans une véritable force politique nationale solide et bien organisée, ayant des objectifs clairement exprimés et une stratégie cohérente pour les atteindre, dirigée par des hommes résolus et capable de mener la lutte victorieusement contre l'ennemi, d'abord politiquement puis diplomatiquement et militairement.
Dans un tel projet, ne jamais perdre de vue que la force principale de combat réside dans la paysannerie et les travailleurs des villes dont les intérêts seront scrupuleusement respectés et défendus. La petite bourgeoisie des villes et plus particulièrement sa composante instruite constitue la force complémentaire indispensable. C'est parmi elle que se recrutaient nos dirigeants dans le passé, c'est encore parmi elle que surgiront les futurs dirigeants de la nation.
La question cruciale est de savoir si les personnes qui n'appartiennent à aucune partie, ont suffisamment de courage, de détermination et d'intelligence pour s'affirmer en une force, ou si elles sont condamnées à n'émettre que des critiques stériles dont seul profite l'ennemi?
De toute façon la bataille des idées fait rage à l'heure présente parmi nos compatriotes. Elle pénètre partout, dans toutes les formations, toutes les organisations et tous les groupes, y compris au sein même du PCK, à l'étranger et au Cambodge même. La lutte est d'autant plus âpre que la relève inéluctable des générations fait déjà sentir ses effets. Cette bataille montre que la pensée cambodgienne est vivante. C'est un signe de santé de notre nation. "La mort de l'homme est la mort de son cerveau. Le coeur peut battre, le poumon peut respirer. Si le cerveau est mort, cet homme est mort." (Jean Bernard). Nous pouvons paraphraser en : la mort d'une nation est la mort de sa pensée. Le peuple peut se battre, mais une Nation ne peut se former s'il n'y a pas une pensée nationale.
L'avenir de notre nation dépend en grande partie de la capacité de la génération montante à élaborer une pensée nationale, à prendre ses responsabilités, et à assurer la relève.
Le problème des DPCK est un problème interne. C'est à nous de le régler par le jeu des rapports de forces à l'intérieur de la communauté nationale. Tu l'exprimais à peu près la même idée quand tu écrivais: "Pour nous, nationalistes, à l'égard des Khmers Rouges il n'y a qu'une seule attitude réaliste et cohérente: les laisser combattre les Vietnamiens (ils n'ont pas besoin de notre autorisation pour cela) et ne rien faire qui puisse les affaiblir militairement. Ils ne sont soutenus que par les Chinois et ces derniers, pour des raisons stratégiques ne les "lâcheront" jamais quoique nous puissions dire sur les comptes de leurs protégés. S'il y a une faible chance de faire changer d'avis aux chinois c'est de leur montrer que nous sommes capables d'assurer nous-mêmes l'avenir de notre pays".
Novembre 1987
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