.RÉPONSE À CHAU SÂN ICher Chau Sân,
Jusqu'à présent, nos compatriotes vivaient dans une forêt dominée par des monologues, où chacun se considère comme seul détenteur de la "Vérité", n'admet la moindre opinion contraire et déclare qu'il a toujours eu raison dans le passé et est infaillible pour le présent et le futur. Pourtant notre pays et son peuple doivent faire face actuellement à une situation extrêmement périlleuse dont personne ne se déclare responsable.
Voilà que, comme Diogène, avec ton mensuel "Cambodge an 8" comme lanterne, tu cherches "un homme" avec qui dialoguer. Après plusieurs tentatives infructueuses, ayant lu notre article dans le numéro 1 de "Perspectives", le trouvant intéressant, tu nous invites à une sorte de "tés krê pi" si prisé par notre peuple. Traditionnellement, il consiste en un débat oral et public entre deux bonzes où chacun à son tour pose des questions relatives à la religion bouddhiste et chacun à son tour y répond. Notre débat, lui, a pour thème fondamental la lutte de notre peuple contre la guerre d'agression imposée par la République Socialiste du Vietnam (RSV) puissamment aidée par l'URSS.
Nous utilisons la forme écrite; elle permet à la pensée de s'exprimer et de communiquer dans toute sa profondeur et toute sa puissance. Les paroles s'envolent, les écrits restent. On peut les consulter à loisir, suivre les raisonnements de l'auteur, déceler leurs points forts comme leurs points faibles, leurs failles et leurs contradictions.
Ainsi, nous avons lu avec intérêt ton "Cambodge an 8" : dès son premier numéro, tu exprimes avec sincérité et fougue cette sorte de d'angoisse qui paralyse nos compatriotes à l'étranger et les confine à l'inaction face à l'agression nord-vietnamienne. Actuellement, paraissent de nombreuses revues culturelles et politiques cambodgiennes. Cette floraison n'est qu'à ses débuts. Elle est le début de la renaissance de la pensée cambodgienne, indispensable à la lutte actuelle et à l'avenir de notre nation. Nous souhaitons que notre dialogue aboutira à un large débat positif et fructueux.
Avant de répondre à tes questions, nous désirons tout d'abord expliciter tes positions que nous jugeons fondamentales et auxquelles nous souscrivons entièrement. Nous leur apportons ensuite des précisions pour clarifier notre pensée. Puis nous aborderons certains sujets qui sont indispensables pour servir de cadre dans lequel se situeront nos réponses à tes questions. Nous essayons de condenser au maximum. Chaque sujet sera traité plus amplement ultérieurement.
Les points d'accord :
I. A l'agression et à l'occupation de notre pays, tu as répondu par une déclaration de guerre sans équivoque à l'ennemi principal qui est Hanoï en intitulant ton mensuel "Cambodge an 8". Car la guerre imposée à notre peuple dure depuis 8 ans au moment de la parution de ton premier numéro. C'est ce qui explique tes prises de position fermes et nettes concernant les rencontres avec les représentants du régime fantoche installé par Hanoï à Phnom Penh.
II. Tu as précisé la forme de la guerre que nous menons en donnant une citation de Churchill en deuxième page: une guerre populaire.
III. Comme première conséquence logique à ces deux prémisses, tu cherches à t'engager militairement. Mais aucune des formations existant ne te convient et nous te comprenons. Alors, logique avec toi-même, tu cherches à mobiliser nos compatriotes contre l'ennemi en publiant ton mensuel et en cherchant le dialogue en premier lieu avec ceux qui pensent et qui se sentent responsables à divers degrés de l'avenir de notre pays.
Avant d'aller plus loin, nous désirons apporter quelques précisions supplémentaires que nous jugeons importantes. Nous estimons que pour bâtir quelque chose de solide et de durable, il faut définir et cerner avec le maximum de précision chaque mot, chaque expression, chaque concept. Cette précision est la condition première pour une formulation cohérente de la pensée, prélude indispensable à tout acte efficace et responsable.
1. L'ennemi est bien ciblé: les responsables du Parti Communiste Vietnamien (PCV), actuellement maître de la RSV. Il est important de ne pas les sous-estimer ni les sur-estimer. Il est actuellement l'un des plus coriaces et des plus sournois. Voici comment Olivier TODD le décrit dans la préface de son dernier livre "Cruel d'Avril". "Pour autant, je n'ai pas réduit les nord-Vietnamiens à un rôle et à la taille de marionnettes déshumanisées, il faut rendre à César ce qui appartient aux hommes de Hanoï: une volonté démesurée, mégalomaniaque, une espèce d'héroïsme aussi implacable qu'incontestable, en même temps qu'une fabuleuse ignorance du monde au-delà de leurs frontières."
"La direction collective à Hanoï fonctionne comme un monstre froid jusqu'au-boutiste, "l'intelligence de l'Etat personnifiée", selon la formule de Clausewitz, maîtrisant les trois fronts symboliques de la guerre, la diplomatie, la politique et le militaire."
2. Rappelons aussi ses objectifs stratégiques : faire de notre pays une province nord-vietnamienne. Non seulement le Cambodge sera à effacer de la carte du monde, mais rien ne devra subsister : les noms des personnes et de géographie, la culture, l'histoire, les noms de nos sites historiques seront vietnamisés. En résumé, l'ennemi vise à exterminer notre héritage culturel et notre nation, ce que dans le langage scientifique on appelle ethnocide. C'est donc à tort que certains utilisent l'expression "guerre d'extermination raciale" pour déterminer la guerre d'agression nord-vietnamienne. Comment peut-on en effet définir sans ambiguïté la "race cambodgienne", la "race khmère", la "race vietnamienne", la "race môn khmère". Certains fantoches utilisés par Hanoï, ne sont-ils pas bronzés à souhait pour représenter la "race môn khmère"? Ceux de nos compatriotes venant du Sud-Vietnam sont-ils assurés de ne pas avoir d'ascendants vietnamiens? Sait-on que les Nord-Vietnamiens eux-mêmes revendiquent leur appartenance à la grande famille môn-khmère d'après la structure de leur langue ?
Ainsi, parler de la guerre d'extermination raciale n'est pas conforme à la réalité. Cela ne peut que créer la confusion chez nos compatriotes et nos amis étrangers, confusion dont profite l'ennemi.
Par contre, il est très important de souligner que l'ennemi engage contre notre peuple et notre nation une guerre totale dans tous son sens et son expression. Tous les Cambodgiens, où qu'ils se trouvent qu'ils le veuillent ou non, sont concernés, ils sont les cibles de l'ennemi : cibles militaires, cibles diplomatiques, cibles politiques, cibles de la guerre des médias c'est à dire de la désinformation.
3. L'ennemi engage contre nous une guerre de conquête, il est donc obligé d'utiliser principalement son armée régulière et il a besoin d'une décision rapide. Nous, de notre côté, nous avons à défendre notre nation, notre héritage culturel, notre indépendance et notre souveraineté. D'après Clausewitz, une guerre défensive peut être "la forme de guerre la plus forte" dans la mesure où nous pouvons exploiter nos avantages naturels que sont: le terrain, l'espace et le temps, par la mobilisation politique du peuple. Ainsi pour qu'une guerre de défense l'emporte, il faut qu'elle soit populaire et prolongée. Mao Tsé Tung complétait "pour que la guerre du peuple soit invincible, il la faut populaire et prolongée, donc nationale et révolutionnaire".
D'ailleurs dans ta lettre ouverte, tu dis que tu es un révolté et que tu veux partager ce que tu as dans le coeur. Un groupe de révoltés bien organisés peut déclencher une révolte. Des révoltes bien coordonnées et généralisées deviennent une révolution qui balaiera toutes les troupes ennemies de notre pays. Nos arrières-grand-pères l'ont déjà fait au milieu des années 1840, peu de temps avant la période coloniale. Le mot révolution ne doit pas nous faire peur, car toutes les guerres populaires sont nécessairement révolutionnaires. Churchill a bien défini la nature de la Seconde Guerre Mondiale : une guerre des peuples, elle est donc révolutionnaire. Elle apporte la libération de tous les pays colonisés, à l'exception de ceux conquis par les tsars de Russie, qui sont englobés actuellement dans l'URSS, auxquels viennent s'ajouter les pays de l'Europe de l'Est après la défaite hitlérienne. L'URSS et les pays d'Europe de l'Est représentent le seul empire colonial existant en cette fin du XXè siècle.
C'est parce que la guerre actuelle est nationale et révolutionnaire que le peuple cambodgien se bat non seulement pour se libérer du joug de Hanoï pour l'indépendance nationale et la souveraineté dans son intégrité territoriale, mais aussi pour l'instauration d'un régime qui respecte ses libertés et ss droits fondamentaux ainsi que les intérêts légitimes de toutes les couches et classes sociales de la nation, contre tout régime de type féodal ou dictatorial ou autocratique.
4. Il importe que cette guerre populaire soit aussi totale et permanente au sens plutôt matériel de Clausewitz et surtout au sens plutôt moral et intellectuel de Sun Tzu, car nous sommes un petit pays.
L'ennemi et nos objectifs stratégiques étant ainsi bien définis, tous nos compatriotes, où qu'ils se trouvent, peuvent concentrer leur tir. Nous entendons par compatriotes, tous ceux qui ont reçu directement ou indirectement une culture cambodgienne et qui veulent l'indépendance et la souveraineté du Cambodge. Nous pouvons utiliser toutes les armes et toutes les formes de combat : armes blanches, légères, lourdes, diplomatiques, politiques, médiatiques, on peut tirer sur l'ennemi en snipers, en groupes en formations organisées politiquement ou/et militairement.
Dans cette guerre populaire de longue durée, nous avons besoin aussi bien des tireurs d'élite à la Robin des Bois ou à la Guillaume Tell, que de personnes qui n'ont jamais tenu une arme ou qui n'ont jamais combattu.
Actuellement la situation sur le terrain est la suivante :
L'ennemi a engagé contre nous une guerre de conquête. Il est donc obligé d'utiliser massivement son armée régulière pour obtenir une décision rapide. Maintenant, après plus de 9 ans de combat, le peuple cambodgien lui impose une guerre populaire et révolutionnaire de longue durée. L'ennemi a stratégiquement perdu l'initiative sur la forme de la guerre qu'il voulait nous imposer. Les expériences historiques montrent que qui perd cette initiative perd la guerre.
D'autre part, dans le monde, touts les peuples, tous les gouvernements, toutes les organisations qui luttent d'une façon ou d'une autre contre la politique de domination mondiale de l'URSS dont la politique de domination régionale de la RSV est un des piliés sont nos alliés effectifs ou potentiels. Les Vietnamiens qui luttent contre le régime de Hanoï sont aussi dans ce cas. En ce qui concerne le corps expéditionnaire envoyé par Hanoï, nous luttons à mort contre les soldats vietnamiens qui obéissent aux ordres, mais nous favorisons les désertions et les mutineries.
Nos compatriotes à l'étranger vivent actuellement dans les pays du monde occidental, stratégiquement menacés par l'URSS. Les intérêts de ces pays concordent avec les objectifs de notre lutte. Nous avons donc le soutien d'une partie importante de leur peuple et de leur gouvernement.
Mais la détermination, le courage et la persévérance dans la lutte dépend que de nous. On ne soutient que ceux qui sont déterminés à lutter. Une fraction de plus en plus importante de nos compatriotes, en particulier parmi les jeunes se rendent compte de cette vérité.
5. Pour faire une guerre totale, il faut une mobilisation totale : matérielle, humaine et surout cérébrale. Des trois, la dernière est la plus difficile, et elle est décisive. il faut non seulement que le maximum de nos compatriotes utilisent leur cerveau dans la lutte, mais surtout qu'ils utilisent bien, c'est-à-dire dans les meilleures conditions qui sont de deux ordres :
a) D'ordre mental : il faut avoir la détermination, le courage, la persévérance dans la lutte, avoir la volonté de se battre jusqu'à la victoire quelles qu'en soient les circonstances, les difficultés, la durée et le prix. Cette disposition mentale conditionne l'objectivité de nos réflexions et l'efficacité de nos décisions et de nos activités. A la limite, tout le monde connaît la paralysie intellectuelle qui s'empare des personnes gagnées par la peur ou l'angoisse. On ne peut se battre que si on n'a pas peur. Ceux qui n'ont pas peur de la mort vaincront. Ceux qui ont peur de mourir seront battus (Sun Tzu).
b) D'ordre intellectuel : notre cerveau étant maintenant dans les bonnes conditions pour fonctionner, il lui faut apporter des aliments de base : nous pénétrer
de notre véritable histoire ancienne, contemporaine, récente et des événements actuels;
des caractéristiques fondamentales de l'histoire mondiale et surtout celles de l'époque actuelle avec une remise à jour constante du rapport global et partiel des forces.
Ces données ne sont pas facile a obtenir, mais parmi nos compatriotes et leurs amis étrangers il y a des spécialistes qui peuvent nous les fournir. Nous pouvons aussi les acquérir en lisant des livres ou en suivant des séminaires les concernant. Elles seront affinées par des discussions et surtout en les confrontant à la réalité de la lutte. En un mot, nous informer des expériences historiques nationales et internationales, méditer, lutter activement est fondamental pour saisir à temps la trame qui sous-tend tous les événements dans notre pays et dans le monde, et par la suite pour prévenir et combattre la guerre diplomatique, politique et médiatique de l'ennemi, dont l'objectif est d'émousser puis de briser notre volonté de lutte. Bien informés et bien expérimentés, nous serons alors en mesure à notre tour d'organiser dans des bonnes conditions et avec les moyens appropriés la riposte populaire et médiatique.
En résumé, et nous insistons, ce qui est sous-utilisé dans la lutte actuelle, c'est notre impalpable intelligence qui est pourtant l'arme décisive. Sonnons donc la mobilisation générale et totale de toutes les intelligences cambodgiennes, les intelligences internationales sont prêtes à nous soutenir. Les armées ne valent que ce que valent les cerveaux qui commandent et les cerveaux qui exécutent. Dans toute guerre, ce qui est décisif c'est le moral et l'intelligence des combattants et de leurs chefs.
Pour que notre réponse à tes questions soit claire, nous désirons encore aborder certains sujets que nous pensons utiles : l'importance de la prise de conscience dans l'histoire de l'homme; l'histoire de la prise de conscience nationale au Cambodge.
(À suivre…)